.La colonisation allemande
1896-1916

 

Sommaire 

I La pénétration

        A Les causes
        B  La résistance du roi Mwezi Gisabo
        C La reddition de Mwezi Gisabo
                1 Les clauses politiques
                2 Les clauses économiques

II  L'Administration allemande

       A  Structures administratives de l'Afrique orientale allemande
       B L'administration indirecte allemande
              1 L'usage de la force: Conquête de Von BERINGE (1903)
              2 La politique "répressive" du Résident Von Grawert (1903-1908)
              3  La nouvelle politique allemande et le règne éphémère de     Mutaga Mbikije (1908-1915)
                       a La  politique de "divide et impera" Gouverneur Von        RECHENBERG 
                       b  Le règne éphémère de Mutaga Mbikije (1908-1915)
             4 L'avènement de Mwambutsa IV 

III  Les transformations économiques et sociales sous la colonisation allemande

     A Domaine économique
     B  Domaine social

 

I La pénétration
A Les causes
L'allemagne s'est engagée tardivement dans l'entreprise coloniale alors que les grandes puissances comme la Grande Bretagne ou la France s'étaient déjà emparées de la majeure partie du continent africain au 19ème siècle.
Le fondateur de l'empire allemand, le Chancelier BISMARCK se gardait jusqu'en 1883 à toute expansion coloniale. Ses préoccupations étaient essentiellement européennes. Il redoutait éventuellement la revanche de la France suite à la défaite de la guerre de 1870. Il devait ainsi mener une diplomatie active pour empêcher la France de trouver des alliés sur le sol européen. Bismarck voulait aussiconsolider économiquement son pays avant de se lancer dans l'aventure coloniale.
Cependant, il changea brusquement de position sous la pression des hommes d'affaires tels que Adof LUDERITZ qui s'installa au sud ouest africain en 1883 et Karl PETERS, qui, en 1884 fonda "La société de colonisation allemande" en Afrique orientale.
Non loin au Congo, le roi des Belges, Léopold II avait pris l'initiative de créer "l'Etat Indépendant du Congo (E.I.C.)", ce qui en pratique équivalait à une colonie. Cela devait inquiéter le chancelier.
Ainsi, à partir de 1884, l'on assista à une course à la signature des traités entre les chefs traditionnels et les Belges, Allemands et Anglais. La Conférence Internationale de Berlin (1884-1885)délimita l’Afrique orientale allemande dont la majeure partie était constituée du Tanganyika, actuelle Tanzanie. Cette "Deutsch Ost Afrika" fut délimitée au nord entre Allemands et Anglais présents dans la région actuelle du Kenya et de l'Ouganda. Au sud, la frontière était tracée par le cours inférieur du fleuve Ruvuma avec les Portugais qui avaient en possession le Mozambique en novembre 1898. A l'ouest, la frontière faillit provoquer des heurts.En effet, selon la déclaration de l'Etat Indépendant du Congo le 1er août 1883, la frontière orientale était définie comme une droite menée de l'intersection du 30ème degré de longitude Est avec la parallèle du 1°20' d'angle de latitude sud jusqu'à l'extrémité septentrionale du Tanganyika. C'était donc une frontière non matérialisable sur le terrain alors que le lac Kivu et la Rusizi constituaient des limites "naturelles" critères de bases prises en considération dans certaines régions pour délimiter les possessions coloniales.
En conséquence, une bande côtière de la Rusizi devait passer dans le territoire congolais. Cette région fut objet de discorde entre l'Allemagne et la Belgique, et plus tard entre le Zaïre de Mobutu et le Burundi sous Jean Baptiste Bagaza (1976-1987).
En 1910, une conférence réunissant Anglais, Belges et Allemands mit en terme à ce conflit et la frontière délimitée par la Rusizi fut reconnue.
BLa résistance du roi Mwezi Gisabo
Après la délimitation de la zone d'influence allemande, les Allemands devaient occuper effectivement le terrain. Au Burundi, cette pénétration s'est heurtée à la résistance du roi Mwezi Gisabo. Les colonisateurs allemands se sont établis sur la côte du lac Tanganyika en 1896, précisément à Kajaga (emplacement actuel de l’hôtel Club des Vacances).Mais suite à l’insalubrité du milieu infesté de beaucoup de moustiques, les Allemands ont quitté l’emplacement initial de Kajagapour s’établir à Uzige, beaucoup plus à l’Est aux environs de la RTNB et duPalais de la Justice... De là, les Allemands vont tenter de pénétrer à l'intérieur du pays. Des caravanes allemandes seront souvent attaquées par les guerriers de Mwezi Gisabo. Ces attaques seront suivies d’expéditions punitives de la part des soldats allemands. 
En 1898, le capitaine Von BETHE écrasa une insurrection dans la chefferie de Ntarugera. En 1899, il y eut une attaque d'une caravane qui se rendait à la mission catholique de Mugera. A la suite de cette attaque, les Allemands décidèrent d'intensifier la répression en effectuant une expédition punitive contre le Mwami. Les Allemands brûlèrent ainsi les enclos royaux de Muramvya. Il utilisaient des mitrailleuses. Malgré leur résistance, les Barundi furent vaincus. Le véritable artisan de cette soumission du Burundi fut le capitaine Von BERINGE. Il commença par soutenir les rébellions de Maconco et de Kirima. Ensuite, aidé par les chefs rebelles et environ 400 hommes, il réussit à déloger le roi de sa capitale et celui-ci se réfugia au sud après avoir échappé de justesse à la mort.
C La reddition de Mwezi Gisabo
Les pères catholiquesde la mission de Mugera et certains des fils influents du roi lui ont conseillé de négocier avec les Allemands car ils étaient plus forts que lui. Ainsi, le traité de Kiganda eut lieu le 6 juin 1903. Les principales clauses sont:
1 Les clauses politiques
                    1° Mwezi Gisabo accepte la souveraineté de l’Allemagne. Un drapeau allemand et une lettre de protection lui sont remis.
                    2° Kirima reçoit la région de Bukeye et Maconco celle de Muramvya. Ces derniers allaient désormais dépendre administrativement d'Usumbura et les terres qui venaient d'être octroyées à eux allaient d'être délimitées
                    3° Mwezi est maintenu Mwami du pays et un poste d’”Askaris" (Africains qui combattaient aux côtés des militaires allemands) dirigé par un allemand lui est ouvert pour sa protection.
2 Les clauses économiques
                    1° En guise de réparations des actes d’insoumission, Mwezi Gisabo doit verser une amende de 424 têtes de bétail.
                    2° Le roi s'engage à ne plus perturber l'action “civilisatrice” de la mission de Mugera, garantir le libre exercice du culte, faciliter la circulation des caravanes, fournir gratuitement des travailleurs pour construire la route Usumbura-Muyaga.
                    Ce traitéhumiliant consacra la perte de la souveraineté burundaise.
IIL'Administration allemande
AStructures administratives de l'Afrique orientale allemande
Au début de l'occupation allemande, le Burundi, comme le Ruanda se trouvaient dans la circonscription administrative du district d'UJIJI en actuelle Tanzanie.Le capitaine Von RAMSAY créa le poste de Kajaga en 1869. Les mauvaises conditions obligèrent les Allemands à déménager pour s'installer à Usumbura en 1897. En 1901, le l'Urundi et le Ruanda furent séparés du district d'Ujiji. Usumbura devint chef-lieu de district du Ruanda-Urundi.
En 1906, les Allemands créèrent deux résidences distinctes: Ruanda et Urundi. Cette dernière conserva Usumbura comme capitale jusqu'en 1912, année ou le Résident Von LANGUENN la transféra au centre du payssur la colline Musinzira que l'on baptisaRésidence de Kitega.
B L'administration indirecte allemande
Contrairement aux autres régions de l'Afrique orientale allemande administrées de manière directe par le gouvernement épaulé souvent par des intermédiaires arabisés, l'Urundi, le Ruanda et la Résidence du Bukoba furent soumis à une administration indirecte , les autorités allemandes de Dar-Es-Salam gardaient les autorités coutumières en place.
Cependant, cette politique n'était pas comprise de la même manière par les Gouverneurs Généraux et les Résidents à cause essentiellement de la lenteur dans les communications. On aboutissait souvent à des décisions contradictoires. Au Burundi, l'administration allemande était conjoncturelle, elle n'avait pas une ligne bien définie. Ainsi, la politique administrative allemande a connu trois phases:
1 L'usage de la force: Conquête de Von BERINGE (1903)
Von Beringe a décidé de casser le pouvoir du roi par la force. Il a soutenu les rébellion de Maconco et de Kirima pour hâter la reddition du roi qui a été sanctionnée par le traité de Kiganda de 1903.
Pourtant, Von Beringe avait reçu les instructions de Dar-Es-Salam sur cette question dont voici la teneur: "Le gouvernement a intérêt à voir l'autorité de Mwezi Gisabo rétablie dans le pays. Pour y parvenir, il faut que les révoltés soient arrêtés par la force du roi et punis ou relégués dans une autre région...Enfin, il faut traiter Mwezi avec des égards, ne pas exiger de ce vieillarddes voyages pénibles à Usumbura mais y accueillir avec honneur ses ambassades".
En maltraitant le roiMwezi Gisabo, Von Beringue avait commis une faute administrative grave. Le Gouverneur Général Von GOETZEN le remplaça ainsi par Von GRAWERT.
2 La politique "répressive" du Résident Von Grawert (1903-1908)
Surnommé dans les milieux populaires "Digidigi" à cause des crépitements de ses mitrailleuses, Von Grawert consacrera ses efforts dans la lutte contre les chefs rebelles de Gisabo en vue de rétablir l'ordre et la réunification du pays. Il organisa des campagnes pour mâter Maconco et Kirima. Maconco fut tué à l'arme à feu, Kirimafinira par déposer les armes après une longue lutte. Il sera déportéau sud-ouest de la Deutch Ost Africa, à New Langennbourg près du lac Malawi en avril 1906.
La résistance des chefs au nord-est fut brisée en 1907. L'opposant chef Kanugunu fut tué, Busokoza et Mbanzabugabo s'enfuirent et Rusengo fut soumis.
La défaite des dissidents de Mwezi rehaussa le prestige et l'autorité du roi. En 1908, Von Grawert invita le roi Mwezi Gisabo à lui rendre visite à Usumbura malgré le tabou qui défendait aux rois de voir les eaux du lac Tanganyika.A son retour, Mwezi Gisabo mourut vers les hauteurs de Buhonga qui surplombent la ville de Bujumbura. La tradition dit qu’il était interdit au Mwami de voir les eaux du lac Tanganyika. Mais l’on pense qu’il serait mort de paludisme suite à des piqûres de moustiques dont la plaine de la Rusizi est largementinfestée.
3La nouvelle politique allemande et le règne éphémère de Mutaga Mbikije (1908-1915)
a Lapolitique de "divide et impera" Gouverneur Von RECHENBERG
Pour le nouveau gouverneur Von Rechenberg, la politique de Von Goetzen n'était pas à la hauteur de la situation. Il ne voulaitpas renforcerl’unité des Barundi, de peur que ces derniers ne constituent une force de résistance à la colonisation. De 1909 à 1912,Il mit sur pied une nouvelle stratégieoù les Résidents devaient obéir à la politique de "Divide et impera”. 
Cette politique se définissait comme suit: "D'une part, conserver ou créer des royaumes (sultanaten) assez étendus et assez puissants pour être en temps de paix, des moyens de gouvernement pratiques et naturels; d'autre part, éviter qu'ils soient étendus et assez puissants pour pouvoir mettre en ligne en temps de guerre des forces réunies supérieures à nos forces combattantes. Il faudra s'efforcer , conformément à la maxime: "Divide et impera', de créer des Etats qu'une diplomatie habile puisse opposer , l'un à l'autre en cas de besoin..."
Le Burundi connut ainsi trois sortes de chefs sous Von Rechenberg:
                    - Les chefs indépendants au nord-est: Busokoza, Mbanzabugabo, Rusengo
                    - Les chefs fidèles au roi au centre
                    - Les chefs indépendants au sud et dans la plaine de l'Imbo.
                    En 1911, Kirima sera autorisé à rentrer après cinq ans d'exil.
bLe règne éphémère de Mutaga Mbikije (1908-1915)
Intronisé à 14 ans, Mbikije prit traditionnellement le nom de Mutaga. Sa régence fut assurée par le chef Ntarugera et la reine Ririkumutima, une des femmes de Mwezi, par un coup de force. Déçue et frustrée de ne pas voir un de ses fils succéder au trône, elle fut tout pour faire disparaître la mère de Mutaga, Ntibanyiha. En effet, Mutaga serait mort de blessures suite à une lutte qui l'avait opposée à son demi-frère Bangura. En effet,Mutaga Mbikije, averti par la reine Ririkumutima, aurait surpris Bangura en train de courtiser sa femme. Ils se battirent à mort.Mutaga mourut le 30/11/1915 dans ces conditions qui sont restées obscures. En représailles, la reine Ririkumutima aurait fait tuer alors la femmede Mbikijeet les membres de sa famille "les Bavubikiro": un véritable génocide des Bavubikiro aurait eu lieu. La reine Ririkumutima ne tarda pas aussi à entrer en conflit avec le chef Ntarugera et son influence sur le Mwami fut dénoncée à plusieurs reprises.
Les Allemands s'étaient enfin rendu compte que l'autorité du roi n'était seulement affirmé qu'au centre du pays. L'administration coloniale était aussi impliquée dans l'aggravation de l'esprit de la rébellion et dans les intrigues de la cour.
4 L'avènement de Mwambutsa IV
Mutaga sera succédé le 16 décembre 1915 par Bangiricenge qui portera le nom dynastique de Mwambutsa. 
Tous les chefs du pays s'étaient rendusà la fête du Muganuro y compris ceux, qui depuis l’administration allemande, avaient manifesté une attitude indépendante. Seuls Kirima et Mbazabugabo étaient absents.
Cette manifestation traditionnelle prouva aux colonisateurs allemands que malgré leurs efforts d'affaiblir la monarchie, ilss'étaientheurtés à la force d'une tradition séculaire et d'un attachement religieux aux principes de la royauté.
Devant cet attachement aux valeurs de la monarchie, le résident Languenns'adressa aux chefs Ntarugera, Nduwumwe et à Ririkumutima pour assurer la régence du roi. L'orientation politique allait désormais s'appuyer sur la collaboration avec la monarchieet non la logique du "divide et impera".
IIILes transformations économiques et sociales sous la colonisation allemande
A Domaine économique
Les Allemands ont introduit la monnaie dans les échanges: (la Roupie d'argent et le Heller de cuivre). Le rayonnement était réduit autour de certains centres comme Usumbura et Kitega.
L'administration allemande avait prévu une mise en place des routes. Un projet de construction d'un chemin de fer reliant le lac Tanganyika à l'océan indien passant par Tabora et la Ruvubu existait. Les Allemands avaient déjà lancé un bateau à vapeur sur le lac Tanganyika.
Le commerce restait faible car les Burundais n' y avaient pas accès. Ils en étaient exclus. Il était principalement aux mains des Asiatiques.Le commerce des Européens était représenté par une seule ferme de Hambourg qui importait des cotonnades et qui exportait des peaux.
Dans le domaine agricole, les Allemands ont introduit la pomme de terre et de nouvelles cultures maraîchères. Ils ont introduit le café et ils ont initié une politique forestière de reboisement du pays.
BDomaine social
Du point de vue de la santé, les Allemands ont fait beaucoup d'efforts pour éradiquer certaines épidémies telles que la variole et la maladie du sommeil. Sur le plan de la formation intellectuelle, les Allemands envisageaient de former des cadres à partir de l'élite traditionnelle. Deux écoles furent ouvertes: L'une à Usumbura et l'autre à Gitega en 1913.
En 1911, 70 écoles missionnaires rassemblaient 1440 élèves. Sur le plan scientifique, les Allemands ont pu effectuer des études qui ont été publiées dans des revues scientifiques. La colonisation allemande prit fin lors de la première guerre mondiale. Le Burundi aura de nouveaux maîtres: Les colonisateurs belges.