Les origines conflit politico ethnique au Burundi

          
 

Sommaire

I  un conflit à caractère  culturel ? 
II  Un conflit séculaire ?
III  Un virus de division ethnique inoculée par la colonisation et entretenue par l'élite politique.

         A le rôle de la colonisation 

             1 Vision stéréotypée de la société Burundaise 
                  2 Impact de la réorganisation administrative sur la   cohabitation entre 
                      Hutu  et Tutsi 
                  3 L’échec de la politique belge de décolonisation. 

          B Les événements sanglants de 1959 au Rwanda et leur impact, hier et aujourd’hui,  sur la vie politique du  Burundi 

 

0 Introduction

Le conflit politico-ethnique est à l’origine des événements sanglants qui ont endeuillé à plusieurs reprises le Burundi depuis l’indépendance. 
Ceux qui ne connaissent le Burundi qu’à travers les média et les  autres moyens de communication se demandent si Bahutu et Batutsi ont toujours entretenu une haine depuis des siècles. Peut-on affirmer que le Hutu a toujours été la source permanente du danger pour le Tutsi et Vice-versa? 
Le fait établi par les historiens et les autres chercheurs est que toutes les composantes ethniques vivaient depuis longtemps en symbiose; il n’est signalé nulle part un conflit ethnique entre hutu et tutsi au Burundi ou au Rwanda voisin avant la première moitié du 20 ème siècle. Ces deux composantes ethniques (Hutu et Tutsi) aujourd’hui en conflit avaient plutôt plusieurs valeurs communes que l’on peut relever à travers des éléments culturel et historique.
I Un conflit à caractère culturel ? 
Depuis l’existence de la nation burundaise, les Bahutu, les Batutsi et les Batwa se reconnaissaient dans une communauté de langue qui véhicule un riche patrimoine culturel commun, la même sagesse, la même vision du monde, un facteur qui de tout temps a réuni des peuples entiers sous d’autres cieux.
Avant la colonisation, les Barundi avaient une communauté de religion. Ils croyaient à un être supérieur “Imana” créateur, dispensateur de vie, maître du monde et de tous les êtres qui s’y trouvent. Ils célébraient le culte du Kiranga avec la cohésion caractéristique de tous ceux qui partagent une même religion.
Les Barundi avaient également les mêmes traditions et coutumes, ils se reconnaissaient autrefois dans l’institution d’ubushingantahe qui a largement contribué à l’édification d’un Burundi uni, communiant aux mêmes valeurs sans oublier les relations matrimoniales interethniques observées souvent dans les régions proches des capitales royales.
On peut donc affirmer  que Bahutu , Batutsi et Batwa ont une même culture. L'usage du terme "ethnie" pour les caractériser est abusif du moment qu'une ethnie s'identifie entre autre par sa culture et sa tradition .
IIUn conflit séculaire ? 
Les colonisateurs et les missionnaires ont tenté d’expliquer le peuplement du Burundi en se basant sur une théorie dite hamitique dans laquelle les Batutsi étaient identifiés comme des Hamites venus d’Egypte ou du proche orient, les Bahutu comme des Bantu venus d’Afrique Centrale et les Batwa comme une race sortie de la forêt vierge.
Cette théorie prétend que les Bahutu, cultivateurs et maîtrisant la technique du fer ont dominé les Batwa (chasseurs) sur place et que les Batutsi (Pasteurs) ont à leur tour dominé les Bahutu. Même au niveau de cette théorie aujourd'hui controversée, il n'est signalé nulle part un choc ou des violences entre les trois composantes de la société burundaise.
Jusqu’à l’heure qu’il est, les chercheurs n’ont pas encore d’éléments scientifiques qui prouveraient ces migrations successives telles qu’elles sont décrites par la théorie hamitique et qu’ensuite, un conflit ethnique aurait éclaté au Burundi avant la colonisation. 
Dans son ouvrage intitulé “Burundi, L’Histoire retrouvée, 25 ans de métier d’historien en Afrique”, J.P. Chrétien nous dit:“Les traditions orales sont silencieuses, contrairement à ce qui est parfois suggéré, aucune source n’atteste une invasion récente, ni des migrations à longue distance intéressant le peuplement du Burundi” Dans cette approche, J.P. Chrétien comme ses contemporains historiens remettent en question cette théorie qui trouve son origine dans une interprétation simpliste de la genèse.
L’hypothèse jusqu’ici difficilement contestée par les chercheurs est que les Bahutu, les Batutsi et les Batwa ont toujours vécu en symbiose et que la monarchie leur attribua des fonctions suivant leurs domaines de spécialisation. L’on ne signale nulle part des conflits entre Hutu et Tutsi.
Ce qu’il faut noter au sujet des conflits est que la monarchie a connu des guerres princières avant la colonisation. Les conflits entre Bezi et Batare ont opposé des princes et certains chefs.
On pourrait également signaler le fait que la monarchie avait réservé beaucoup de privilèges aux princes de sang. Les 3/4 du pays étaient pratiquement aux mains des Batare et les Bezi, le reste étant partagé entre les Bahutu et les Batutsi parmi lesquels le roi recrutait ses conseillers.
III Un virus de division ethnique inoculée par la colonisation et entretenu par l'élite politique.
A le rôle de la colonisation
1 Vision stéréotypée de la société Burundaise 
L’anthropologie physique développée durant la colonisation a constitué l’aspect essentiel de la différentiation des “races” aux yeux des observateurs européens. Dès les années 1920 en effet, des “études” ethnographiques sont entamées par certains agents coloniaux et missionnaires en vue d'affermir l'autorité coloniale qui voulait mieux connaître la société burundaise qu'elle était amenée à gérer et à dominer politiquement. Ces études, dont l'objectif n'était pas de diviser les Barundi ont constitué des germes d’un racisme dont le processus se construit comme suit selon Albert Memmi dans son ouvrage Le Racisme”, (Gaillimard”, 1982. cité par le Professeur Joseph NDAYISABA dans “Idéologie Génocidaire” 17 juillet 1998.)
- On affirme d’abord la différence entre le groupe humain “du raciste” et les autres. Cette différence peut être n’importe quoi: la couleur de la peau, la région, l’ethnie, le nombre, l’école. 
- On affirme la supériorité de son groupe par rapport aux autres. Son groupe est placé donc au sommet de la hiérarchie.
- On revendique les privilèges liés à la supériorité: Privilèges politiques, religieux, économiques; C’est-à-dire qu’on estime avoir plus de droit.
Ainsi, pour établir des différences entre les races, on a tenu compte de la taille, de la longueur du nez, des dimensions des lèvres et même dans une certaine mesure de la couleur de la peau. En conséquence, les Batutsi furent qualifiés de “géants”, les Bahutu de “courts”, et les Batwa de “nains”. La cohésion nationale des Barundi sera profondément affectée par des jugements moraux qui vont se mêler à cette identification subjective d’où renforcement du caractère divisionniste de l’idéologie coloniale.
Ainsi, le colonisateur belge dira que “Les Batwa sont capables du plus grand attachement, d’un dévouement qui participe plus peut-être à l’instinct de chien que de reconnaissance d’homme”
        
Quant à l’administrateur J GISHLAIN, dans son ouvrage “Féodalité au Burundi”, “Le Muhutu est comme on l’a souvent répété, en parlant du nègre en général, un grand enfant, comme l’enfant est superficiel, léger, volage, âme servile et des habitudes de troupeaux, de bêtes qui se sont laissés asservir sans jamais esquisser un geste de révolte”
De leur côté, les Batutsi sont décrits comme: “Intelligents, mais facilement retors, apparemment maîtres d’eux-mêmes, ignorant la colère mais pratiquant une  vengeance froide. Les Batutsi ne connaissent ni la pitié, ni le scrupule. Ils sont profondément méfiants et n’accordent leur confiance qu’à des personnes connues surtout quand il s’agit des leurs, enfin, bien que poltrons, ils sont auréolés de guerriers intrépides”
Les Batutsi que le colonisateur confondra avec les Ganwa seront qualifiés de “seigneurs” et les Bahutu d’esclaves exploités.
On constate que dans certains milieux européens et même au Burundi, ces stéréotypes persistent. Lors de la crise de Ntega et Marangara d’août 1988, JP CHRETIEN a relevé le vieux discours dans certains médias: Le Washington Post du 21 août parlait du conflit entre “ les courts et les longs”. La voix du Nord parlait“des géants de plus de 2m que les Hutu s’amusent à scier” ou “le peuple contre une aristocratie” On parle également de la “majorité contre une minorité ou des esclaves contre les seigneurs”
Lors du génocide des Batutsi d’octobre 1993, plus précisément à Bubanza et à Rutegama, certains paysans Hutu ont invité les Batutsi qu’ils étaient en train de massacrer à regagner leur terre natale d’Egypte “Misr” en jetant leurs cadavres dans des rivières car disaient-ils, au Burundi, ce n’était pas chez eux.
L’on se rend compte que le stéréotype et l’idéologie coloniale sont encore présents dans les esprits et que ce sont ces préjugés qui alimentent essentiellement l’idéologie du génocide à l’heure actuelle.1
2 Impact de la réorganisation administrative sur la cohabitation entre Hutu et Tutsi
Le colonisateur s’était progressivement imprégné des caricatures pour caractériser les composantes de la société burundaise et s’en est largement servi dans la réforme administrative qui aura lieu entre 1925 et 1933.
Dans sa vision, seuls les Baganwa confondus avec les Batutsi sont les seuls aptes à diriger. Les Bahutu étaient d’office qualifiés d’incapables. Les chefs Hutu et Tutsi seront progressivement écartés du pouvoir au profit des Baganwa.
Le professeur J. Gahama, dans son ouvrage “Le Burundi sous administration belge” montre qu’en 1940 il n’y avait plus aucun chef Hutu. La même sélection sera appliquée dans les écoles ou toutes les faveurs seront accordées aux enfants des princes et aux Tutsi au détriment des Bahutu que le colonisateur avait ravalé au rang de simples cultivateurs, une erreur que JP HARROY reconnaîtra plus tard dans son livre, “Burundi, Souvenirs d’un combattant d’une guerre perdue”
Ce déséquilibre se répercutera également dans les écoles si bien qu'une crise pointait déjà à l’horizon entre futurs intellectuels Tutsi et Hutu puisque ces derniers allaient se retrouver en majorité diplômés à côté des Hutu que le même pouvoir colonial n’allait pas tarder à dresser contre les Tutsi à l’approche de l’indépendance.
3 L’échec de la politique belge de décolonisation.
L’évolution générale du continent africain après la deuxième guerre mondiale, le développement du nationalisme, la conférence de Bandoeng et l’influence des partis politiques d’opposition à la colonisation dirigés par Kwame N’krumah au Ghana, Julius Nyerere au Tanganyika, Patrice Lumumba au Zaïre...n’allaient pas laisser la Belgique et l’élite intellectuelle burundaise indifférentes sur la question d’indépendance.
Dès 1956, le prince Louis Rwagasore réclame aux colonisateurs une constitution comme les autres pays. Le cours des événements à l’échelle continentale et mondiale sur la question coloniale poussera la Belgique à assouplir son régime en acceptant la démocratisation du Ruanda-Urundi.
En novembre 1959, le pouvoir colonial fit une déclaration dite de démocratisation des institutions dont la conséquence a été l’affaiblissement des chefs et sous-chefs que le colonisateur voulait empêcher de jouer un rôle politique dans le processus d’accession à l’indépendance.
Voyant la menace que représentait l’UPRONA, qui par son leader, le prince Louis RWAGASORE, réclamait l’indépendance immédiate, l’administration coloniale a pris l’initiative de raviver les querelles princières entre les Bezi et les Batare en donnant son appui au PDC (Parti Démocrate Chrétien), dont le chef Mutare BIRORI ne cessera de contrecarrer l’action de RWAGASORE présumé être à la solde des Bezi. le PDC refusait l’indépendance immédiate car il fallait selon lui que las Barundi se préparent suffisamment au pouvoir régi par des institutions modernes.
Sur le plan ethnique, le Gouverneur Général du Ruanda-Urundi , J.P. HARROY se mit à diviser les Barundi dès 1956 en déclarant ouvertement que les Batutsi possèdent en énorme majorité des richesses mobilières et immobilières, que la masse Hutu et Twa est démunie, qu’il faut l’aider.
Durant la même année en 1956, Jean Paul Harroy organisa un vote secret de ceux qui devaient composer les collèges électoraux des sous-chefferies dans l'espoir d'obtenir un "vote ethnique" puisque les Hutu étaient nombreux sur les listes électorales. Il voulait retirer aux sous-chefs le privilège de composer discrètement les collèges électoraux . A sa grande surprise, le vote des conseillers ne fut pas ethnique car les Tutsi ont emporté la majorité lors de l'élection des conseillers.
Le Colon Albert MAUS, promoteur du P.P. ( Parti du Peuple), un parti à caractère ethnique, parlera “du retard culturel des Hutu”, de ” travail servile”, de “mépris du Mututsi envers le Muhutu”, mais paradoxalement un mépris créé et entretenu par le colonisateur pendant plus de 40 ans. Comme toutes les puissances coloniales, la Belgique usait de la politique de “divise et règne” pour rester beaucoup plus longtemps.
B Les événements sanglants de 1959 au Rwanda et leur impact, hier et aujourd’hui, sur la vie politique du Burundi
La politique coloniale de division ethnique eut plus de répercussions au Rwanda qu’au Burundi. L’année 1959 fut marquée au Rwanda par des événements sanglants. Une soi-disant révolution sociale canalisée par l’élite politique Hutu décime systématiquement les Tutsi. Un véritable génocide des Tutsi par des Hutu appuyés par l’administration coloniale belge est ainsi consommé. A la veille du premier assaut militaire du Front Patriotique Rwandais (FPR) contre le régime de Habyalimana en 1990,le Général Major J. Noël , dans “La Belgique militaire” N° 2755, commentait les événements de 1959 au Rwanda sous le titre“Ruanda, qui est responsable?”:“Faut-il alors rappeler à ceux qui l’ont vécu, l’appui tacite et souvent “actif” de la Belgique à l’ethnie Hutu, lors de ces élections de 1959, et au génocide, déjà, des milliers de Tutsi dont on coupait les jambes pour les raccourcir! Et ce, en présence et sous l’autorité des militaires belges. (Le colonel Logiest n’est hélas, plus là pour témoigner.) Nous semblons oublier facilement le passé des autres’ Ce génocide de 1959, l’exode des milliers de Tutsi vers le Zaïre, le Burundi et l’Ouganda, et l’appui total de la Belgique au régime Hutu de Kayibanda d’abord et de Habyalimana ensuite, jusqu’en 1990, contiennent tous les ferments de la crise actuelle” 
Cette prise de pouvoir à visage ethnique sera érigée en un modèle d’accession au pouvoir par une partie de l’élite hutu au Burundi au moment où l’afflux des réfugiés rwandais au Burundi effrayait des politiciens tutsi: Une scission entre Hutu et Tutsi pointait à l’horizon. Elle sera aggravée par l’assassinat du prince Louis Rwagasore le 13 octobre 1961, un leader au charisme politique inégalable qui jusque-là avait combattu toute transposition de la crise du Rwanda au Burundi.
Après l’indépendance, le colonisateur est parti mais sa vision caricaturale des Bahutu et des batutsi prévalait au sein de l'élite intellectuelle, les tutsi hantés par le syndrome rwandais, les autres tentés par cette "révolution sociale".Une crise profonde entama l'élite politique au niveau de l’Assemblée Nationale , le Gouvernement et les Partis politiques. C’est le cas notamment de la crise“Casablanca-Monromvia” au Gouvernement et au Parlement. 
Le groupe “Casablanca”était penché ethniquement du côté tutsi et le groupe Monromvia du côté hutu.
L’assassinat du Premier Ministre Pierre NGENDANDUMWE le 15 janvier 1965 sera interprétée par des Hutu comme étant une provocation grave de la part des Tutsi.
Le climat malsain qui prévalait conduisit à une tentative de coup d’Etat le 19 octobre 1965 par les militaires hutu. En même temps, des paysans Hutu se mirent à tuer systématiquement leurs concitoyens Tutsi à la manière dont les Tutsi Rwandais avait été décimés au Rwanda. 
Pour la première fois dans l’histoire du Burundi, des massacres à grande échelle venaient d’avoir lieu pour la seule appartenance à une ethnie. Le coup d’Etat sera déjoué, les comploteurs seront jugés et exécutés. Ce fut “le coup d’envoi de cycles de violences qui allaient marquer l’avenir du Burundi.
Désormais, les crises cycliques ultérieures (1972,1988, 1991) ne seront qu’une réédition du scénario de 1965 au Burundi: Attaques des Tutsi par des extrémistes Hutu et répression par l’armée composée en majorité des Tutsi après 1972
Malheureusement, seule la crise d’octobre 1993 a fait l’objet d’une enquête approfondie par une commission internationale d’enquête qui a qualifié les massacres d’actes de génocide contre la minorité Tutsi par les membres du FRODEBU, un parti à majorité Hutu qui avait gagné les élections en juin 1993.

Cependant des voix s’élèvent aujourd’hui aussi bien dans les milieux Tutsi que Hutu pour signaler que ces enquêtes sont insuffisantes et qu'il faut continuer le même travail d'enquête sur toutes les crises que le pays a connu afin d’établir les responsabilités et de punir les responsables des crimes contre l’humanité et de génocide commis depuis l’indépendance de pays.

           


1 Dans une certaine littérature partisane, les régimes politiques qui se sont succédés sont comparés au régime de ségrégation raciale d'apartheid régnait en Afrique du Sud avant la prise du pouvoir par Nelson Mandela. Les Tutsi sont comparés à tort aux blancs, oppresseurs et les Hutu à la masse des noirs majoritaires et exploités par la minorité.

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