0 Introduction
Le conflit politico-ethnique est à l’origine des événements sanglants
qui ont endeuillé à plusieurs reprises le Burundi depuis l’indépendance.
Ceux qui ne connaissent le Burundi qu’à travers les média
et les autres moyens de communication se demandent si Bahutu et Batutsi
ont toujours entretenu une haine depuis des siècles. Peut-on affirmer que le
Hutu a toujours été la source permanente du danger pour le Tutsi et
Vice-versa?
Le fait établi par les historiens et les autres
chercheurs est que toutes les composantes ethniques vivaient depuis longtemps
en symbiose; il n’est signalé nulle part un conflit ethnique entre hutu et
tutsi au Burundi ou au Rwanda voisin avant la première moitié du 20 ème
siècle. Ces deux composantes ethniques (Hutu et Tutsi) aujourd’hui en conflit
avaient plutôt plusieurs valeurs communes que l’on peut relever à travers des
éléments culturel et historique.
I Un conflit à caractère
culturel ?
Depuis l’existence de la nation
burundaise, les Bahutu, les Batutsi et les Batwa se reconnaissaient dans une
communauté de langue qui véhicule un riche patrimoine culturel commun, la
même sagesse, la même vision du monde, un facteur qui de tout temps a réuni
des peuples entiers sous d’autres cieux.
Avant la colonisation, les Barundi
avaient une communauté de religion. Ils croyaient à un être supérieur “Imana”
créateur, dispensateur de vie, maître du monde et de tous les êtres qui s’y
trouvent. Ils célébraient le culte du Kiranga avec la cohésion
caractéristique de tous ceux qui partagent une même religion.
Les Barundi avaient également les
mêmes traditions et coutumes, ils se reconnaissaient autrefois dans
l’institution d’ubushingantahe qui a largement contribué à l’édification d’un
Burundi uni, communiant aux mêmes valeurs sans oublier les relations
matrimoniales interethniques observées souvent dans les régions proches des
capitales royales.
On peut donc affirmer que Bahutu
, Batutsi et Batwa ont une même culture. L'usage du terme "ethnie"
pour les caractériser est abusif du moment qu'une ethnie s'identifie entre
autre par sa culture et sa tradition .
IIUn conflit séculaire ?
Les colonisateurs et les missionnaires
ont tenté d’expliquer le peuplement du Burundi en se basant sur une théorie
dite hamitique dans laquelle les Batutsi étaient identifiés comme des Hamites
venus d’Egypte ou du proche orient, les Bahutu comme des Bantu venus
d’Afrique Centrale et les Batwa comme une race sortie de la forêt vierge.
Cette théorie prétend que les Bahutu,
cultivateurs et maîtrisant la technique du fer ont dominé les Batwa
(chasseurs) sur place et que les Batutsi (Pasteurs) ont à leur tour dominé
les Bahutu. Même au niveau de cette théorie aujourd'hui controversée, il
n'est signalé nulle part un choc ou des violences entre les trois composantes
de la société burundaise.
Jusqu’à l’heure qu’il est, les
chercheurs n’ont pas encore d’éléments scientifiques qui prouveraient ces
migrations successives telles qu’elles sont décrites par la théorie hamitique
et qu’ensuite, un conflit ethnique aurait éclaté au Burundi avant la
colonisation.
Dans son ouvrage intitulé “Burundi,
L’Histoire retrouvée, 25 ans de métier d’historien en Afrique”, J.P. Chrétien
nous dit:“Les traditions orales sont silencieuses, contrairement à ce qui
est parfois suggéré, aucune source n’atteste une invasion récente, ni des
migrations à longue distance intéressant le peuplement du Burundi” Dans
cette approche, J.P. Chrétien comme ses contemporains historiens remettent en
question cette théorie qui trouve son origine dans une interprétation
simpliste de la genèse.
L’hypothèse jusqu’ici difficilement contestée
par les chercheurs est que les Bahutu, les Batutsi et les Batwa ont toujours
vécu en symbiose et que la monarchie leur attribua des fonctions suivant
leurs domaines de spécialisation. L’on ne signale nulle part des conflits
entre Hutu et Tutsi.
Ce qu’il faut noter au sujet des
conflits est que la monarchie a connu des guerres princières avant la
colonisation. Les conflits entre Bezi et Batare ont opposé des princes et
certains chefs.
On pourrait également signaler le fait
que la monarchie avait réservé beaucoup de privilèges aux princes de sang. Les
3/4 du pays étaient pratiquement aux mains des Batare et les Bezi, le reste
étant partagé entre les Bahutu et les Batutsi parmi lesquels le roi recrutait
ses conseillers.
III Un virus de
division ethnique inoculée par la colonisation et entretenu par l'élite
politique.
A le rôle de la colonisation
1 Vision stéréotypée de la société
Burundaise
L’anthropologie physique développée
durant la colonisation a constitué l’aspect essentiel de la différentiation
des “races” aux yeux des observateurs européens. Dès les années 1920 en
effet, des “études” ethnographiques sont entamées par certains agents
coloniaux et missionnaires en vue d'affermir l'autorité coloniale qui voulait
mieux connaître la société burundaise qu'elle était amenée à gérer et à
dominer politiquement. Ces études, dont l'objectif n'était pas de diviser les
Barundi ont constitué des germes d’un racisme dont le processus se construit
comme suit selon Albert Memmi dans son ouvrage “Le Racisme”, (Gaillimard”,
1982. cité par le Professeur Joseph NDAYISABA dans “Idéologie Génocidaire” 17
juillet 1998.)
- On affirme d’abord la différence
entre le groupe humain “du raciste” et les autres. Cette différence peut être
n’importe quoi: la couleur de la peau, la région, l’ethnie, le nombre,
l’école.
- On affirme la supériorité de son
groupe par rapport aux autres. Son groupe est placé donc au sommet de la
hiérarchie.
- On revendique les privilèges liés à
la supériorité: Privilèges politiques, religieux, économiques; C’est-à-dire
qu’on estime avoir plus de droit.
Ainsi, pour établir des différences
entre les races, on a tenu compte de la taille, de la longueur du nez, des
dimensions des lèvres et même dans une certaine mesure de la couleur de la
peau. En conséquence, les Batutsi furent qualifiés de “géants”, les Bahutu de
“courts”, et les Batwa de “nains”. La cohésion nationale des Barundi sera
profondément affectée par des jugements moraux qui vont se mêler à cette
identification subjective d’où renforcement du caractère divisionniste de
l’idéologie coloniale.
Ainsi, le colonisateur belge dira que “Les
Batwa sont capables du plus grand attachement, d’un dévouement qui participe
plus peut-être à l’instinct de chien que de reconnaissance d’homme”
Quant à l’administrateur J GISHLAIN, dans son
ouvrage “Féodalité au Burundi”, “Le Muhutu est comme on l’a souvent
répété, en parlant du nègre en général, un grand enfant, comme l’enfant est
superficiel, léger, volage, âme servile et des habitudes de troupeaux, de
bêtes qui se sont laissés asservir sans jamais esquisser un geste de révolte”
De leur côté, les Batutsi sont décrits
comme: “Intelligents, mais facilement retors, apparemment maîtres
d’eux-mêmes, ignorant la colère mais pratiquant une vengeance froide. Les Batutsi ne connaissent
ni la pitié, ni le scrupule. Ils sont profondément méfiants et n’accordent
leur confiance qu’à des personnes connues surtout quand il s’agit des leurs,
enfin, bien que poltrons, ils sont auréolés de guerriers intrépides”
Les Batutsi que le colonisateur
confondra avec les Ganwa seront qualifiés de “seigneurs” et les Bahutu
d’esclaves exploités.
On constate que dans certains milieux
européens et même au Burundi, ces stéréotypes persistent. Lors de la crise de
Ntega et Marangara d’août 1988, JP CHRETIEN a relevé le vieux discours dans
certains médias: Le Washington Post du 21 août parlait du conflit
entre “ les courts et les longs”. La voix du Nord parlait“des géants
de plus de 2m que les Hutu s’amusent à scier” ou “le peuple contre une
aristocratie” On parle également de la “majorité contre une minorité ou des
esclaves contre les seigneurs”
Lors du génocide des Batutsi d’octobre
1993, plus précisément à Bubanza et à Rutegama, certains paysans Hutu ont
invité les Batutsi qu’ils étaient en train de massacrer à regagner leur terre
natale d’Egypte “Misr” en jetant leurs cadavres dans des rivières car
disaient-ils, au Burundi, ce n’était pas chez eux.
L’on se rend compte que le stéréotype
et l’idéologie coloniale sont encore présents dans les esprits et que ce sont
ces préjugés qui alimentent essentiellement l’idéologie du génocide à l’heure
actuelle.
2 Impact de la réorganisation
administrative sur la cohabitation entre Hutu et Tutsi
Le colonisateur s’était
progressivement imprégné des caricatures pour caractériser les composantes de
la société burundaise et s’en est largement servi dans la réforme
administrative qui aura lieu entre 1925 et 1933.
Dans sa vision, seuls les Baganwa
confondus avec les Batutsi sont les seuls aptes à diriger. Les Bahutu étaient
d’office qualifiés d’incapables. Les chefs Hutu et Tutsi seront
progressivement écartés du pouvoir au profit des Baganwa.
Le professeur J. Gahama, dans son
ouvrage “Le Burundi sous administration belge” montre qu’en 1940 il n’y avait
plus aucun chef Hutu. La même sélection sera appliquée dans les écoles ou
toutes les faveurs seront accordées aux enfants des princes et aux Tutsi au
détriment des Bahutu que le colonisateur avait ravalé au rang de simples
cultivateurs, une erreur que JP HARROY reconnaîtra plus tard dans son livre,
“Burundi, Souvenirs d’un combattant d’une guerre perdue”
Ce
déséquilibre se répercutera également dans les écoles si bien qu'une crise
pointait déjà à l’horizon entre futurs intellectuels Tutsi et Hutu puisque
ces derniers allaient se retrouver en majorité diplômés à côté des Hutu que
le même pouvoir colonial n’allait pas tarder à dresser contre les Tutsi à
l’approche de l’indépendance.
3 L’échec de la politique belge de
décolonisation.
L’évolution générale du continent
africain après la deuxième guerre mondiale, le développement du nationalisme,
la conférence de Bandoeng et l’influence des partis politiques d’opposition à
la colonisation dirigés par Kwame N’krumah au Ghana, Julius Nyerere au
Tanganyika, Patrice Lumumba au Zaïre...n’allaient pas laisser la Belgique et
l’élite intellectuelle burundaise indifférentes sur la question
d’indépendance.
Dès 1956, le prince Louis Rwagasore
réclame aux colonisateurs une constitution comme les autres pays. Le cours
des événements à l’échelle continentale et mondiale sur la question coloniale
poussera la Belgique à assouplir son régime en acceptant la démocratisation
du Ruanda-Urundi.
En novembre 1959, le pouvoir colonial
fit une déclaration dite de démocratisation des institutions dont la
conséquence a été l’affaiblissement des chefs et sous-chefs que le
colonisateur voulait empêcher de jouer un rôle politique dans le processus
d’accession à l’indépendance.
Voyant la menace que représentait
l’UPRONA, qui par son leader, le prince Louis RWAGASORE, réclamait
l’indépendance immédiate, l’administration coloniale a pris l’initiative de
raviver les querelles princières entre les Bezi et les Batare en donnant son
appui au PDC (Parti Démocrate Chrétien), dont le chef Mutare BIRORI ne
cessera de contrecarrer l’action de RWAGASORE présumé être à la solde des
Bezi. le PDC refusait l’indépendance immédiate car il fallait selon lui que
las Barundi se préparent suffisamment au pouvoir régi par des institutions
modernes.
Sur le plan ethnique, le Gouverneur
Général du Ruanda-Urundi , J.P. HARROY se mit à diviser les Barundi dès 1956
en déclarant ouvertement que les Batutsi possèdent en énorme majorité des
richesses mobilières et immobilières, que la masse Hutu et Twa est démunie,
qu’il faut l’aider.
Durant la même année en 1956, Jean
Paul Harroy organisa un vote secret de ceux qui devaient composer les
collèges électoraux des sous-chefferies dans l'espoir d'obtenir un "vote
ethnique" puisque les Hutu étaient nombreux sur les listes électorales.
Il voulait retirer aux sous-chefs le privilège de composer discrètement les
collèges électoraux . A sa grande surprise, le vote des conseillers ne fut
pas ethnique car les Tutsi ont emporté la majorité lors de l'élection des
conseillers.
Le Colon Albert MAUS, promoteur du
P.P. ( Parti du Peuple), un parti à caractère ethnique, parlera “du retard
culturel des Hutu”, de ” travail servile”, de “mépris du Mututsi envers le
Muhutu”, mais paradoxalement un mépris créé et entretenu par le colonisateur
pendant plus de 40 ans. Comme toutes les puissances coloniales, la Belgique
usait de la politique de “divise et règne” pour rester beaucoup plus
longtemps.
B Les événements
sanglants de 1959 au Rwanda et leur impact, hier et aujourd’hui, sur la vie
politique du Burundi
La politique coloniale de division
ethnique eut plus de répercussions au Rwanda qu’au Burundi. L’année 1959 fut
marquée au Rwanda par des événements sanglants. Une soi-disant révolution
sociale canalisée par l’élite politique Hutu décime systématiquement les
Tutsi. Un véritable génocide des Tutsi par des Hutu appuyés par
l’administration coloniale belge est ainsi consommé. A la veille du premier
assaut militaire du Front Patriotique Rwandais (FPR) contre le régime de
Habyalimana en 1990,le Général Major J. Noël , dans “La Belgique militaire”
N° 2755, commentait les événements de 1959 au Rwanda sous le titre“Ruanda,
qui est responsable?”:“Faut-il alors rappeler à ceux qui l’ont vécu,
l’appui tacite et souvent “actif” de la Belgique à l’ethnie Hutu, lors de ces
élections de 1959, et au génocide, déjà, des milliers de Tutsi dont on
coupait les jambes pour les raccourcir! Et ce, en présence et sous l’autorité
des militaires belges. (Le colonel Logiest n’est hélas, plus là pour
témoigner.) Nous semblons oublier facilement le passé des autres’ Ce génocide
de 1959, l’exode des milliers de Tutsi vers le Zaïre, le Burundi et
l’Ouganda, et l’appui total de la Belgique au régime Hutu de Kayibanda
d’abord et de Habyalimana ensuite, jusqu’en 1990, contiennent tous les
ferments de la crise actuelle”
Cette prise de pouvoir à visage
ethnique sera érigée en un modèle d’accession au pouvoir par une partie de
l’élite hutu au Burundi au moment où l’afflux des réfugiés rwandais au
Burundi effrayait des politiciens tutsi: Une scission entre Hutu et Tutsi
pointait à l’horizon. Elle sera aggravée par l’assassinat du prince Louis
Rwagasore le 13 octobre 1961, un leader au charisme politique inégalable qui
jusque-là avait combattu toute transposition de la crise du Rwanda au Burundi.
Après l’indépendance, le colonisateur
est parti mais sa vision caricaturale des Bahutu et des batutsi prévalait au
sein de l'élite intellectuelle, les tutsi hantés par le syndrome rwandais,
les autres tentés par cette "révolution sociale".Une crise profonde
entama l'élite politique au niveau de l’Assemblée Nationale , le Gouvernement
et les Partis politiques. C’est le cas notamment de la
crise“Casablanca-Monromvia” au Gouvernement et au Parlement.
Le groupe “Casablanca”était penché
ethniquement du côté tutsi et le groupe Monromvia du côté hutu.
L’assassinat du Premier Ministre
Pierre NGENDANDUMWE le 15 janvier 1965 sera interprétée par des Hutu comme
étant une provocation grave de la part des Tutsi.
Le climat malsain qui prévalait
conduisit à une tentative de coup d’Etat le 19 octobre 1965 par les
militaires hutu. En même temps, des paysans Hutu se mirent à tuer
systématiquement leurs concitoyens Tutsi à la manière dont les Tutsi Rwandais
avait été décimés au Rwanda.
Pour la première fois dans l’histoire
du Burundi, des massacres à grande échelle venaient d’avoir lieu pour la
seule appartenance à une ethnie. Le coup d’Etat sera déjoué, les comploteurs
seront jugés et exécutés. Ce fut “le coup d’envoi de cycles de violences qui
allaient marquer l’avenir du Burundi.
Désormais, les crises cycliques
ultérieures (1972,1988, 1991) ne seront qu’une réédition du scénario de 1965
au Burundi: Attaques des Tutsi par des extrémistes Hutu et répression par
l’armée composée en majorité des Tutsi après 1972
Malheureusement, seule la crise
d’octobre 1993 a fait l’objet d’une enquête approfondie par une commission
internationale d’enquête qui a qualifié les massacres d’actes de génocide
contre la minorité Tutsi par les membres du FRODEBU, un parti à majorité Hutu
qui avait gagné les élections en juin 1993.
Cependant des voix s’élèvent
aujourd’hui aussi bien dans les milieux Tutsi que Hutu pour signaler que ces
enquêtes sont insuffisantes et qu'il faut continuer le même travail d'enquête
sur toutes les crises que le pays a connu afin d’établir les responsabilités
et de punir les responsables des crimes contre l’humanité et de génocide
commis depuis l’indépendance de pays.
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