. La fondation de la monarchie du Burundi

(1680-1796)

Sommaire




I Légendes sur l'origine du premier roi

     A Cycle du Nkoma
     B Cycle de la Kanyaru
     C Classification  thématique de ces mythes
           1 Les récits qui indiquent une origine mystérieuse de la monarchie
           2 Origine extérieure de ma monarchie
     D La signification des mythes

II La question des cycles royaux

 A Hypothèse de la généalogie en quatre cycles
 B Hypothèse de la généalogie en deux cycles

III Le rôle unificateur de Ntare Rushatsi 
(1680-1709)

 A La fondation du royaume
 B Organisation du royaume sous Ntare Rushatsi
 C Les premiers successeurs de Ntare Rushatsi
  1 Mutaga Senyamwiza 1739-1767
  2 Mwambutsa Mbariza
 

I Légendes sur l'origine du premier roi

La fondation de la monarchie du Burundi a été fixée dans la mémoire collective par une série de contes et de légendes sur l'origine du premier roi NTARE RUSHATSI CAMBARANTAMA. 

Il existe deux courants de mythes. Le cycle du sud ou cycle du Nkoma et le cycle du nord ou cycle de la Kanyaru.

A Cycle du Nkoma

Les légendes de ce cycle sont les plus importantes. Les légendes fixent l'origine du roi Ntare Rushatsi au Buha (en Tanzanie actuelle). D'après ces légendes, Ntare Rushatsi est présenté comme le continuateur de la lignée royale de NTWERO, qui dirigeait le sud du pays. Il avait deux fils: JABWE et NSORO.Jabwe s'est installé à Ntunda et contrôlait le Mugamba. L'autre fils est dans le Bututsi, près de Gitanga situé à Ryansoro (du nom de Nsoro).

La légende dit qu'un jour, au retour d'une chasse, Jabwe, pour échapper à un orage se serait réfugié dans un enclos de Gashinyira à Matana qui relevait du domaine de son frère Nsoro. Jabwe profita de ce moment pour faire union avec la femme de son frère Nsoro. De cette union naquit un enfant qui sera le futur Ntare Rushatsi.

Très jeune, cet enfant part au Buha, dont le roi RUHINDA ou RUHAGA était marié avecINAMABUYE, laquelle était la soeur de Jabwe et Nsoro. Jabwe et Nsoro étaient en conflit permanent. Nsoro serait mort au cours de ces conflits, dans les marais de Gitanga, dans la commune actuelle de Ryansoro en province de Gitega, d'où le nom "RYANSORO"

A la cour du roi du Buha, le jeune enfant était berger. Mais, petit à petit, des signes vont révéler sa destinée de futur roi: il battait toujours dans le jeu d'"ikibuguzo" (tric trac), il avait un taureau qui ne cessait de battre le taureau du roi. Le roi Ruhaga faisait souvent des rêves qui l'intriguaient sur la destinée de l'enfant.

Pendant ce tempsoù Ntare Rushatsi séjournait au Buha, le Burundi connut des calamités naturelles. Les devins burundais furent inspirés qu'il y avait un enfant burundais dans le royaume du Buha qui pouvait sauver le pays. Ils traversèrent ainsi la rivière Malagarazi, qui sépare le Burundi avec la Tanzanie à l'Estet allèrent au Buha pour ramener Ntare.

Arrivésau mont Nkoma au Burundi. Ntare abat son taureau qu'il avait amenéet étend la peau du taureau sur une termitière qui contenait un serpent venimeux "Inkoma". Le serpent frappa la peau de sa tête et inaugura ainsi le tambour au Burundi comme symbole du pouvoir. 

Les gens firent des cris de joie et ils fabriquèrent le tambour "Karyenda" dans un arbre appelé "Umurama". Cambarantama gagna les hauteurs du Mugamba où il inaugura les premiers enclos. Il prit le nom de Ntare Rushatsi "lion hirsute".

B Cycle de la Kanyaru

Dans cette version, Cambarantama est présenté comme un berger au Rwanda chez un roi magicien du nom de Mashira. 

Un jour, Cambarantama fit paître des vaches dans un champ d'éleusine appartenant au roi. Le roi se fâcha et lui invita d'aller régner au Burundi. Cambarantama se forgea des armes en traversant la Kanyaru. Il tua un fauve qui menaçait le pays. Les Batwa (pygmoïdes chasseur selon la tradition) découvrirent Cambarantama qui avait un sac contenant toutes les semences des plantes du pays. Il devint roi sous le nom de Ntare Rushatsi Cambarantama. De nouveau, la pluie revint, l'abondance se réinstalla.

C Classificationthématique de ces mythes

D'après le professeur historien Emile Mworoha, les versions concernant l'origine du 1er roi du Burundi peuvent se regrouper en deux catégories:

1 Les récits qui indiquent une origine mystérieuse de la monarchie

Cette catégorie de mythes met l'accent sur la puissance surnaturelle du fondateur du royaume. De ce fait, les récits donnent un caractère sacré de la monarchie. Nous retrouvons trois classifications dans ces récits:

- Le roi tombé du ciel

- Le roi qu'on a retrouvé dans la forêt après avoir tué seul le lion.`

- Le roi qui apporte des semences à tout pays (mythe du héros civilisateur)

2 Origine extérieure de la monarchie

Selon cette deuxième catégorie, les fondateurs du royaume du Burundi seraient venus de l'extérieur du Burundi, soit du Rwanda (nord) soit de la Tanzanie, au Buha (sud-est).

D La signification des mythes

Dans ces légendes, on relève beaucoup d'aspects culturels et politiques qui reviennent. L'on peut mentionner ici le rôle de la tante dans l'éducation du jeune roi, la plupart de récits mentionnent la chasse, les jeux(ikibuguzo) .

On peut relever aussi des aspects religieux. Certaines versions considèrent Ntare Rushatsi comme étant venu avec KIRANGA, un esprit intermédiaire entre Dieu et les Hommes.

Il y a aussi un aspect idéologique. C'est la foi populaire dans les mythes de fondation. Le roi est toujours présenté comme un héros civilisateur

II La question des cycles royaux

A l'état actuel des recherches, il est établi que les rois se sont succédés au Burundi de manière cyclique en adoptant les quatre noms de règne à savoir: NTARE, MWEZI, MUTAGA, MWAMBUTSA. Cependant, la question des cycles royaux reste controversée. Il n y a pas de consensus sur le nombre de rois qui auraient régné sur le Burundi depuis l'avènement de Ntare Rushatsi jusqu'à la chute de la monarchie en 1966.

Les chercheurs se partagent en deux groupes en ce qui concerne le nombre de cycles royaux.

A Hypothèse de la généalogie en quatre cycles

Elle a été proposée en premier lieu par le missionnaire J.M. Van der Burgt au début du 20ème siècle. Elle a été ensuite reprise par les différents auteurs: Hans Mayer et Alexix Kagame. Cette hypothèse remonte beaucoup plus loin dans le temps l'origine de la monarchie burundaise. Cependant, cela n'est pas attesté par la tradition et les tombeaux des reines mères ne l'attestent pas.

Cette hypothèse propose le cycle suivant:

Nom dynastique

Période de règne 

1 RUHINDA

1530

2 NTAREIER

1530-1550

3 MWEZI IER

1550-1580

4MUTAGA IER

1580-1600

5 MWAMBUTSA IER

1600-1620

7 NTARE II

1620-1650

8 MWEZI II

1650-1680

9 MUTAGA II

1680-1700

10 MWAMBUTSA II 

1700-1720

11 NTARE III

1720-1750

12 MWEZI III

1750-1780

13 MUTAGA III

1780-1800

14 MWAMBUTSA III

1800-1830

15 NTARE IV

1830-1860

16 MWEZI IV

1830-1860

17 MUTAGA IV

1860-1908

18 MWAMBUTSA IV

1908- ? *

* J.M. Van Der Burgt a proposé ce cycle durant le règne de Mutaga Mbikije. 

B Hypothèse de la généalogie en deux cycles

Mgr Gorju a été le premier à défendre cette hypothèse. Il s'est basé sur des enquêtes relatives aux nécropoles royales. Il a aussi interrogé le chef Nduwumwe qui a confirmé cette hypothèse. En 1935, le professeur Georges Smetss'est intéressé à la question, il a effectué des enquêtes à Mpotsa sur les tombeaux des reines-mères et il est tombé sur 7 tombeaux des reines mères.

En 1858, l'historien Ian Vansina trouva également 7 tombeaux des Bami (rois). 

En 1967, le Professeur Emile Mworoha a effectué des recherches sur le tombeau de Mutaga Mbikije et il a confirmé lui aussi l'existence des deux cycles.

Le chercheur Jean Pierre Chrétien défend lui aussi l'hypothèse des deux cycles et propose la chronologie suivante:

Noms 

Période de règne

1 Ntare Rushatsi

1680-1709

2 Mwezi Ier Ndagushimiye 

1709-1739

3 Mutaga Ier Senyamwiza

1739-1767

4 Mwambutsa IerMbariza

1767-1796

5 Ntare II Rugamba

1796-1850

6 Mwezi II Gisabo 

1850-1908

7 Mutaga II Mbikije 

1908-1916

8 Mwambutsa Bangirinenge

1916-1966

Il est important de souligner que Mwambutsa Bangiricenge a été destitué par son fils Ndizeye Charles en 1966. Celui-ci sera destitué à son tour, la même année, le 28 novembre 1966, par le Capitaine Michel Micombero qui inaugura l'ère républicaine. Ndizeye sera tué lors des événements sanglants de 1972 par le régime Micombero. Sa sépulture n'est pas encore connu des Burundais. 

Quant à son père Bangiricenge, il s'établit en Suisse après sa destitution. Sa sépulture se trouve à Genève près de l'aéroport de Cointrin (quartier Meyrin). Le Burundi n'a pas encore introduit la demande de rapatriement des restes du corps d'un de ses derniers rois pour un enterrement digne. 

III Le rôle unificateur de Ntare Rushatsi 

(1680-1709)

A La fondation du royaume

Ntare Rushatsi est considéré comme le premier fondateur de la dynastie Ganwa. Il a inauguré l'ère monarchique qui prendra fin en 1966sous le règne de Charles Ndizeye.

Parmi les régions organisées par Ntare Rushatsi au moment de l'unification, les sources locales ont retenu le foyer de la dynastie du nord dans le Buyenzi actuel et le Burundi de Nyaburunga dans le centre et le sud du pays.

Le Burundi d'alors ne comprend qu'une petite partie en forme de corridor et s'élargit au sud-est. Il était composé dans son ensemble des provinces actuelles de Ngozi, Muramvya, Gitega, Bururi, Rutana.

Ainsi, durant cette époque, une grande partie de Bubanza, Cibitoke, les régions du Bugesera, Buyogoma et Buragane ne faisaient pas partie du Burundi unifié par Ntare Rushatsi. Ainsi, le Burundisous Ntare Rushatsi englobait les limites du Mugamba, du Buyenzi et du Kirimiro. L'axe central de cette unification restera marquée par les rites annuels de la fête dite des semailles qu'on appelle en Kirundi "UMUGANURO".

B Organisation du royaume sous Ntare Rushatsi

Parmi les éléments importants qui vont être à la base de l'organisation solide de royaume, on note la monarchie sacrée, l'existence des ritualistes "Abanyamabanga", le rôle joué par la tante qui rappelle celui de conseillère joué par la reine-mère.

Cependant, la tradition n'a pas retenu beaucoup d'éléments sur l'organisation du royaume unifié par Ntare Rushatsi d'autant plus que cette organisation ne mentionne que partiellement ou pas, l'existence des chefs ou des sous-chefs. Ceux qui le secondent dans l'exercice du pouvoir sont des devins "Abapfumu", quelques forces magiques, naturelles ou surnaturelles: la chance, les animaux sacrés... Les traditions ne mentionnent ni le clan, ni l'ethnie du roi. Il est présenté comme unhéros civilisateur, fondateur du Muganuro et initiateur de l'ordre judiciaire (institution d'Ubushingantahe). Enfin, Kiranga, grand protecteur de la monarchie accompagne le roi dans sa course vers le pouvoir.

En conclusion, avec l'avènement de Rushatsi, on assiste à l'instauration d'un arsenal d'institutions politico-ritualistes et religieuses , fondements essentiels de la monarchie.

C Les premiers successeurs de Ntare Rushatsi

1 Mutaga Senyamwiza 1739-1767

Contrairement à Ntare Rushatsi dont les éléments sur son règne sont restés très obscurs dans la tradition, son successeur Mutaga Senyamwiza a laissé plutôt des souvenirs historiques que légendaires. Mutaga Senyamwiza aurait été célèbre dans les guerres qu'il a livrées contre le Rwanda sous le règne de Cyirima Rujugira. 

Il semble que ce roi était "beau comme le soleil, d'où son appellation Senyamwiza". Les traditions rwandaises auraient retenu plutôt le contraire "Senyamubi" qui veut dira "laid" à cause des guerres qu'il a livréescontre le Rwanda. Il serait mort dans l'actuelle préfecture de Butare. Il est à noter que la tradition n'a presque rien retenu sur le règne de Mwezi Ndagushimiye (1709-1739) qui succéda directement à Ntare Rushatsi..

2 Mwambutsa Mbariza

Les connaissances sous le règne de Mwambutsa I Mbariza sont aussi sommaires. Senyamwiza a laissé comme héritiers Mbonyingingo, Sebitungwa et Ntisemberwa. Chacun de ces héritiers prétendait au trône. Pour les départager, il leur a été demandé de soulever le tambour Karyenda au Muganuro. Seul Ntisemberwa pourra soulever Karyenda. Il fut alors intronisé sous le nom dynastique de Mwambutsa Mbariza. Ses frères jaloux de lui tentèrent de le tuer. Il se débarrassa d'eux en les brûlant vifs dans une hutte. Une forte sécheresse frappa par la suite le Burundi et Mwambutsa fut tenu pour responsable à cause du crime qu'il venait de commettre. Les devins lui obligèrent de se sacrifier pour sauver le pays. Il aurait disparu vers la fin du XVIIIes. Le pouvoir sera cédé à son fils Ntare Rugamba dont le règne est historiquement plus connu que les quatre précédents.